1955Médée et Stevie sont des p’tits gars du Faubourg à m’lasse, le quartier des débardeurs. M’lasse pour mélasse, ce sirop épais au goût intense fait à partir de sève de la canne à sucre. Une forte odeur de mélasse plane dans tout le faubourg, émanant des raffineries, des entrepôts et des réservoirs avoisinants. Médée et Stevie se rappellent avoir grimpé ces réservoirs pour jouer et pour ramasser les coulées de mélasse qui s’en échappaient. Le faubourg à m’lasse est aujourd’hui disparu. Il a été totalement rasé en 1963, ses habitants chassés pour faire place à l’actuelle tour de Radio-Canada. Dans le temps, quand un bateau de la Barbade arrive au port avec son chargement de mélasse, la nouvelle se répand vite. Les femmes des débardeurs accourent avec leurs pots depuis le faubourg jusqu’au Hangar 16. Elles savent bien que l’opérateur de la grue va échapper le dernier baril de mélasse. Comme par accident. C’est alors que les femmes se précipitent pour recueillir la mélasse qui se répand au sol. Stevie et Médée remplissent aussi leurs pots : au boulot, rien ne bat la mélasse pour donner de l’énergie ! En souvenir du bon temps où le nectar coulait à flots, le pot de mélasse trône parmi les trésors des débardeurs. |
L’HISTOIRE COMPLÈTE DU POT DE MÉLASSE
1949
Médée et Stevie sont des p’tits gars du Faubourg à m’lasse, comme on dit. M’lasse pour mélasse, ce sirop épais au goût intense fait à partir de sève de la canne à sucre. Parmi les habitants de ce quartier, beaucoup d’hommes travaillent au port. Ils vivent tous dans le même coin, c’est comme un gros village1. Ce quartier des débardeurs est aujourd’hui disparu. Il a été totalement rasé en 1963, ses habitants chassés pour faire place à l’actuelle tour de Radio-Canada3.
Si on lui demande pourquoi le faubourg porte ce nom de m’lasse, Stevie vous répondra que c’est à cause des arrivages de bateaux de mélasse et de l’odeur qui s’en dégagent quand on la décharge sur les quais4. Essentielle à l’époque pour produire la bière, la mélasse arrive par bateau de la Barbade pour alimenter les brasseries du quartier5.
D’autres diront que c’est parce que les familles d’ouvriers du faubourg sont friandes de mélasse6. Elles vont remplir leur pinte à même le gros baril de bois du magasin du coin2. Pour d’autres, c’est à cause de la forte odeur de mélasse qui émane des raffineries, des entrepôts, des réservoirs et des silos de mélasse avoisinants. Médée se rappelle avoir grimpé ces réservoirs pour jouer et pour ramasser les coulées de mélasse qui s’y échappaient7.
Mais pour les gens du coin, peu importe de savoir pourquoi le quartier porte ce nom. Ils y vivent, c’est tout1. En tous cas, la nouvelle d’un arrivage de mélasse fait rapidement le tour des femmes du quartier. On voit toutes les mères accotées dans leur fenêtre ou sur leur galerie qui se passent le mot d’un bord à l’autre de la rue2. Lorsque des barils de mélasse arrivent au port, les femmes du quartier savent bien que c’est le temps de se rendre sur les quais avec leurs contenants3… pour profiter du dernier déchargement2.
Les voilà avec leurs pots, convergeant vers le Hangar 16. Une fois sur place, elles surveillent le moindre geste de Tardif, l’opérateur de la grue. Oui, Tardif habite le quartier. À la fin du transfert de la cargaison de mélasse, voilà soudain qu’il échappe le dernier baril. Comme par accident1. Les femmes se précipitent alors pour recueillir dans leurs contenants la mélasse qui se répand au sol3.
Y’a pas que les femmes qui profitent de ce renversement opportun. Stevie et Médée remplissent aussi chacun leur pot de mélasse. Au boulot, rien ne bat la mélasse pour donner de l’énergie ! En souvenir du bon temps où le nectar coulait à flots, le pot de mélasse trône parmi les trésors des débardeurs.